SENSEI

Bonjour à tous, 

Je souhaite aujourd'hui procéder à un exercice périlleux : vous parler des Hommes qui "m'accompagnent" actuellement dans ma vie quotidienne mais surtout dans ma réflexion personnelle.

C'est avec beaucoup de respect et d'humilité, que je vais tenter de les raconter et de vous faire part de ce qui - me semble-t-il - les a "animés" leur vie entière, car c'est bien de cela qu'il s'agit.

De tout temps des Hommes ont consacré leur énergie à la transmission d'un savoir, d'une pratique, d'une pensée qu'ils allaient offrir aux générations futures, afin que celles-ci n'oublient pas les racines qui fondent notre humanité. C'est à eux que je rends hommage ici, à ceux que l'on aime, à ceux qui nous ont apporté leur sagesse, leur foi, sans avoir même jamais eu la chance de croiser leur chemin. Mais ils ont, du fait de leur courage, laissé une trace indéniable dans le monde contemporain.

Dans notre civilisation occidentale, la transmission se fait depuis bien longtemps par le livre, par l'écriture. Nos grands penseurs nous ont laissé de magnifiques ouvrages, faisant part de leurs réflexions et raisonnements. De Platon à Jankélévitch, nous pouvons avec plaisir parcourir les "testaments" philosophiques qu'ils nous ont légués.

Pourtant, si ce blog se nomme "l'Arbre à dire", c'est bien parce que pour moi, surtout à l'heure actuelle où, même si les bibliothèques, la technologie nous ouvrent les portes vers des informations sans frontières, il me semble que la transmission orale, elle, est en perte de vitesse. Or, et ça n'engage que moi, il est une chose que le livre et les mots couchés sur le papier ne nous apportent pas, c'est l'échange direct, vivant, avec le Maître, le professeur, bref avec celui qui transmet.

Même si le langage écrit est un outil d'une extraordinaire richesse, il ne remplacera jamais l'expérience vivante de la pensée et nous laissera toujours dans le doute et la subjectivité. 

Voici donc ce qui m'a menée jusqu'à Sensei Celibidache...

Depuis bien longtemps j'étudie la musique et je la pratique, mais c'est en découvrant ce que ce grand Maître à créé que ma vision de la musique a changé, évolué : il s'agit de la phénoménologie de la musique.

Sergiu Celibidache, chef d'orchestre d'origine roumaine, a un parcours bien différent de la majorité de nos autres grands Maîtres de la musique, car il s'est posé la question : "Mais qu'est-ce que la musique ? Comment définir ce qui n'a pas de réalité physique?".

Une de ses premières réflexions s'est portée sur le tempo. Alors qu'il travaillait avec le grand chef d'orchestre allemand Furtwängler, il lui a demandé : "Maestro, ici quelle est la battue ?" Celui-ci lui a répondu : "Tout dépend comment cela "sonne" !" Il se référait donc à l'expérience du son vivant et c'est à partir de là qu'il accélérait ou ralentissait le tempo de l'orchestre. Car même si la partition est un outil dans lequel tout est écrit, cela reste des indications qui permettent de créer à chaque instant... Après tout les notes, ne sont que des points sur des lignes, elles "n'existent" pas, elles ne sont que sténographie, élément graphique représentant le véhicule sonore... 

Pour Sergiu Celibidache :

"...Dans la musique il y a un élément spirituel qui commande le physique. C'est la corrélation qui permet de transcender le son et de dépasser la valeur physique. Dans une série de sons qui se présentent à votre conscience, le premier disparu, voilà le second ... où vont-ils ? Ils disparaissent! Qu'est-ce qui reste ? La relation entre les sons qui, elle n'est pas de nature physique.

La musique n'est pas autre chose que la transcendance du son. La musique est une articulation : la coïncidence dans le temps et dans l'esprit du commencement et de la fin, de la fin et du commencement. La musique se manifeste dans un déroulement spatio temporel, mais elle est autre chose que ce développement continu..."

Il est évident que je ne suis pas la première à m'être penchée sur la pensée de ce grand Maître, mais lorsque j'ai voulu débuter mon étude du sujet, il m'a paru essentiel de comprendre non pas ses mots, mais la racine de ce qui l'animait!

Ma première question a naturellement été : Quelles furent ses lectures, sur quoi tentait-il de se "baser" pour développer sa phénoménologie ? Husserl ? Heidegger ? Kant ?

Non, et Sergiu Celibidache n'a pas, comme beaucoup d'autres auparavant, rédigé des théories ou des méthodes sur ce sujet... Sensei Celibidache a fait partie de ces Hommes qui ont en quelque sorte pris leur bâton de pèlerin et sillonné le monde afin, de transmettre de manière directe,ce qui ne peut être transmis par l'écriture!

Il a fait de nombreuses conférences, camps d'été en Allemagne et chez lui "au moulin", dans la région de Neuville-sur-Essonne (France)...il existe également des films comme "Le jardin de Celibidache", réalisé par son fils peu de temps avant sa mort. Mais cela ne me suffisait pas ! Cela n'expliquait pas, pour moi ce qu'il cherchait à transmettre! Je sentais qu'il s'agissait non pas de faire un exercice de recherches, en tout cas pas uniquement, mais bien plus de me diriger vers l'expérience comme base de compréhension...

C'est ainsi qu'à force de persévérance, j'ai eu "l'illumination silencieuse" comme dirait "l'autre" (rire) ... C'est-à-dire qu'il m'a paru évident que la réponse à mes recherches se trouvait dans le lien qui unissait les deux "piliers" fondamentaux de la vie de Sensei Celibidache, qui sont la musique et le zen ! 

La musique, comme le zen, que je ne compare pas, allient tous les deux, l'étude et la pratique. Etudier la philosophie zen n'est d'aucune "utilité" si cette dernière n'est pas mise en pratique !

C'est ainsi que j'ai, pardon de l'expression, mais...littéralement "débarqué" dans la pratique de zazen (et découvert mon second "grand Homme", j'ai nommé, Sensei Deshimaru!) 

(Suite au prochaine épisode...

voir article suivant, "Sensei (suite)"!)